Moi, les I.A. et les moutons…
Mettez vous à ma place ! Moi, graphiste et photographe, maîtrisant les logiciels de création graphique et de retouche d’image, avec plus de 20 ans d’expérience, je suis passé de la frénésie de saisir mon stylet numérique ou ma souris qui, en termes de boutons n’a rien à envier au module lunaire d’Apollo 13 ou encore de tourner dans un sens puis dans l’autre la bague de zoom pour trouver le bon cadrage tout en vérifiant l’équilibre entre l’ouverture et la vitesse pour obtenir un bon « bokeh » pour illustrer un propos, je me retrouve soudain face à un simple champ texte.
Bienvenue dans mon monde, ou plutôt, dans notre nouveau monde à tous.
Deep learning.
Plus jeune, j’ai passé énormément de temps à me promener avec mon Olympus OM 1 d’occasion pour imiter des photographes comme Robert Doisneau, William Eugene Smith ou essayer de reproduire des éclairages à la Harcourt avec ce que je pouvais. Du deep learning avant l’heure. J’ai investi dans du matériel de plus en plus efficace mais aussi de plus en plus cher pour alimenter mon ego d’artiste créateur, comme si un nom sur un boitier allait me faire réaliser de meilleures photos. Et maintenant, me voilà assis devant un curseur qui clignote prêt à transformer mes fantasmes visuels en pixels avec une facilité déconcertante.
Le grand remplacement.
Je peux vous présenter une de mes créations visuelles faite à une focale équivalente à 24mm, représentant un fjord islandais de nuit, illuminé par une aurore boréale avec une personne au premier plan sans jamais avoir mis les pieds au bord de l’océan Arctique. Oui mais ce n’est pas une photo, c’est un visuel.
Une vague d’angoisse submerge mon âme de photographe. Une peur irrationnelle du « grand remplacement ». Si les I.A. peuvent reproduire des visuels avec une facilité déconcertante, est-ce que cela signifie que je suis obsolète ?
À l’heure où l’on peut générer des visuels photoréalistes avec une qualité qui s’améliore de jour en jour, en quelques secondes, les notions de rareté et d’unicité sont remises en question. Mon âme de photographe rentre dans une grave dépression.
Trouble dissociatif de l’identité.
Mon âme de photographe rentre dans une grave dépression mais celle du graphiste est prise d’une excitation à la limite de l’indécence; « je vais gagner un temps fou avec ça. ». Fini les longues heures à faire des recherches iconographiques, à arpenter les stocks photos pour trouver « la » bonne image, celle qui plaira autant à moi qu’au client tout en restant dans le budget et la légalité.
« La légalité » ! A ce mot, mon âme de photographe reprend le dessus : toutes ces I.A. ont été « entrainées » avec des œuvres photographiques d’artistes, de créateurs, voire de vos réseaux sociaux sans aucun consentement !
Pour info, mon âme de développeur web soutient mon âme de graphiste. Et oui, on est plusieurs dans ma tête.
Mouton de Panurge ?
On ne peut pas négliger que « l’entrainement » (Machine Learning) des I.A. est un problème. Ni, non plus, que cela facilite la manipulation d’une population moins aguerrie à prendre du recul sur la véracité d’une image. Mais sur ce dernier point, je relativiserais, non pas sur le danger que cela représente, mais plutôt sur le fait qu’il n’as pas fallu attendre l’I.A. ou tout autre outil de traitement d’image pour faire ça. C’est juste plus rapide.
Sans pour autant sous-estimer les problèmes juridiques et éthiques précédemment cités, la standardisation et l’uniformisation esthétique que cela pourrait engendrer est aussi à prendre en ligne de compte.
Du fait que ces outils ont été « formatés » pour plaire au plus grand nombre, et que beaucoup d’utilisateurs n’auront pas le recul et l’expérience d’un professionnel de l’image, on pourrait redouter que les I.A. deviennent de véritables usines à clichés.
Voici un prompt (requête) très, très basique pour avoir une idée du type de catégorisation des I.A. : « un homme de nationalité française debout dans une rue »
Quel professionnel de l’image ne s’est jamais retrouvé face à une commande qui dans le fond n’avait rien de répréhensible mais dont la forme demandée nécessitait l’expertise d’un professionnel pour des raisons logiques, esthétiques et surtout éthiques.
C’est là qu’une notion abstraite entre en ligne de compte : « Le donner à voir ». Plus exactement, la relation complexe entre l’intention du créateur, la création elle-même et l’interprétation du spectateur.
Tiens, mon âme de photographe sort de sa torpeur !
Les professionnels de l’image sont tous des aviateurs essayant de comprendre la véritable intention du commanditaire, s’ingéniant à traduire visuellement l’idée (être créatif), tout en s’évertuant à faire en sorte que l’interprétation du spectateur reste en cohérence avec l’intention du commanditaire… seuls dans le désert !
C’est justement dans cette notion de « donner à voir » que les créateurs d’images expérimentés ont un rôle à jouer.
Et la photo dans tout ça ?
Il faut être réaliste, cela fait bien longtemps que la plupart des professionnels de l’image sous toutes ses formes sont des « aviateurs ». Coincés entre des briefs basés sur des études comportementales précises et des effets de mode très rapidement obsolètes, c’est leur créativité qui fera réellement la différence.
Quand à l’I.A., ce n’est qu’un outil en plus qui permet de gagner du temps et qu’il faut s’approprier pour retoucher, modifier ou tout simplement créer des visuels pertinents car c’est bien la pertinence du propos et du traitement qui fera la différence.
Et pour la photo, il y a un travail photographique que vous pouvez voir ici pour lequel l’I.A. ne m’aurait servi à rien, ou si, gagner du temps sur mes autres travaux pour consacrer plus de temps à celui-ci.
Mon âme de photographe pose sa bouteille, acquiesce et décidé de se mettre au « prompt ingenering » pour vous illustrer son état :
Générateur d’images utilisé : Flux1.ai, Leonardo.ai, Microsoft designer, Haiper.ai